La «mort étrange» de ce ministre biélorusse arrange bien Poutine
Si les circonstances du décès de Vladimir Makeï, l'une des personnalités les plus influentes du régime de Biélorussie, sont encore peu claires, les plus suspicieux se tournent déjà du côté de Moscou.
«Le ministre biélorusse des Affaires étrangères Vladimir Makeï est décédé subitement.» Le communiqué de l'agence de presse nationale Belta tombe samedi après-midi. Une simple phrase, vague, laconique, loin d'apporter les réponses à la disparition brutale du diplomate de 64 ans auquel on ne connait pas de maladie chronique. Bien au contraire.
Une mort qui n'était pas au programme
La veille encore, Vladimir Makeï mène une entrevue avec un émissaire du pape sans «montrer aucun signe de faiblesse». Selon les rumeurs, les deux hommes auraient même échangé d'un «plan de paix secret» pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
Le lendemain, le diplomate projette de se rendre au théâtre pour assister à une pièce mise en scène par son épouse. Et finalement, ce lundi, au sommet de l'agenda du ministre: une réunion de négociation avec son homologue russe Sergueï Lavrov. Bref, son décès est une «surprise totale».
Une «mort étrange» juge pour sa part l'animateur Sergey Mardan sur une chaîne russe pro-guerre. Seul le média indépendant biélorusse Nasha Niva ose avancer que Vladimir Makeï serait mort d’un arrêt cardiaque. Aucun communiqué officiel n'est encore venu confirmer cette information. Un silence qui alimente les théories de ceux qui voient la main de Moscou derrière cette mort soudaine.
L'«irritant» Vladimir Makeï
Si l'on peut affirmer quelque chose du disparu, c'est qu'il est loin d'être l'élément le plus pro-russe du gouvernement du président Alexandre Loukashenko, connu pour sa déférence à Vladimir Poutine. Dans le paysage politique biélorusse, Makeï fait plutôt office de personnage à part.
Le ministre des Affaires étrangères de Biélorussie, en poste depuis 2012, est considéré comme la seule voie de communication importante avec l'Occident, avec lequel il tente jusqu'au bout de maintenir le dialogue. Sans oublier qu'il doit, en parallèle, préserver les liens avec Moscou.
Une stratégie d'équilibriste loin d'être gagnée: on dit que Makeï entretient de très mauvaises relations avec la direction du KGB. Quitte à s'attirer les foudres de Moscou, son ministère ne reconnaîtra jamais les «républiques populaires» de Donetsk et de Louhansk.
En février, quelques semaines avant l'offensive, l'«irritant» Makeï enfonce le clou en s'opposant à l'implication de la Biélorussie dans l'invasion de l'Ukraine. Il jure que «pas un seul» soldat russe ne restera en Biélorussie, suite à des manœuvres conjointes avec Moscou à la frontière ukrainienne.
«Le Kremlin voyait en lui un opposant à l'alignement [biélorusse] sur Moscou»
- Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou, sur Twitter -
La Biélorussie n'en reste pas moins dans une position délicate, entre volonté de ne pas s'impliquer directement dans le conflit et pressions de Vladimir Poutine, auquel Alexandre Loukachenko doit sa réélection en 2020.
«Nous avons des obligations alliées, et nous suivons fermement et continuerons de suivre l'esprit et la lettre des traités internationaux»
- Vladimir Makeï, le 24 septembre 2022 -
Avec Vladimir Makeï, la Biélorussie perd son principal atout pour se détacher de la Russie et conserver son indépendance. Désormais, «elle sera probablement bientôt obligée de participer directement à la guerre contre l’Ukraine», pronostique le journaliste russe Aleksandr Nevzorov sur sa chaîne Telegram.
Un avis partagé par le conseiller du ministre de l'Intérieur ukrainien Anton Gerashchenko qui voit, avec cette mort, les «changements politiques s'accélérer à Minsk». Pas avare de propagande, il évoque carrément des «rumeurs selon lesquelles il aurait été empoisonné» sur Twitter.
Vladimir Makey, 64, head of Belarus Foreign Affairs Minister, is dead. There are rumors he might have been poisoned.
Makey was named as a possible successor of Lukashenko. He was one of the few not under Russian influence.
Rumors say this might be a hint to Lukashenko. pic.twitter.com/HZS6ALjhS5
— Anton Gerashchenko (@Gerashchenko_en) November 26, 2022
Un possible empoisonnement?
La question se pose, inévitablement: cette mort qui arrange si bien les affaires de Moscou est-elle donc naturelle?
Pour les opposants russes et biélorusses, la réponse est claire. La disparition de Makeï intervient au moment où le Kremlin a le plus besoin du soutien, y compris logistique et militaire, de la Biélorussie.
«Poutine a voulu lui montrer comment il règle ce genre de problèmes»
- Viktor Nebojenko -
Le statut d'oligarque peut vous coûter plusieurs années d'espérance de vie
Du côté de Kiev, on y voit un signal clair adressé à Loukachenko, qui serait de plus en plus réticent à entraîner son pays dans la guerre.
Il se chuchote à Minsk que le président biélorusse réputé pour sa paranoïa aurait déjà ordonné le remplacement de tous ces cuisiniers, gardes du corps et personnels de service. Sa sécurité et celle de ses enfants a été renforcée. «On ne sait si c’est vrai. Mais lorsqu’on s’allie avec des criminels et des terroristes, c’est la moindre des précautions», conclut l'essayiste Anatolyï Nesmian.