Mission Dart : les leçons de la première tentative de déviation d’astéroïde
Cinq articles scientifiques publiés dans la prestigieuse revue Nature tirent les premières leçons de la mission de déviation d'astéroïde Dart (Double Asteroid Redirection Test). La Nasa a délibérément envoyé cette sonde s'écraser, à l'automne 2022, sur le plus petit des deux corps composant l'astéroïde double Didymos, à onze millions de kilomètres de la Terre. Sachant que l'objectif était de modifier sa course autour de son compagnon plus imposant.
L'astrophysicien français Patrick Michel, chercheur à l'observatoire de la Côte d'Azur, à l'origine de cette mission, explique au Point tout ce que cette expérience de défense planétaire « grandeur nature » nous a appris jusqu'ici.
Le Point : Lorsque la mission Dart a été lancée, vous ne disposiez que de très peu de données sur sa cible, Dimorphos, lune de l'astéroïde binaire Didymos. Que sait-on d'elle à présent ?
Patrick Michel : D'abord, Dimorphos est un peu plus petit que prévu. En effet, la seule chose que nous pensions savoir de lui, avant de le voir, était son diamètre évalué à 160 mètres. On sait désormais qu'il n'en fait que 151. Malgré cela, Dart est parvenu à adapter sa trajectoire pour aller droit sur lui. Il convient d'ailleurs de rappeler, d'une part, que la sonde s'est orientée de manière autonome pour aller le frapper et, d'autre part, qu'il s'agissait d'un test à l'aveugle puisque nous ne savions effectivement pas à quoi cet objet ressemblait.
La principale surprise concerne la forme de cette lune. Alors que nous nous attendions à ce qu'elle ressemble à un bonbon M & M's, version française, avec sa cacahuète à l'intérieur et donc une forme de ballon de rugby, nous avons découvert un M & M's américain, aplati comme un smarties : un sphéroïde oblate. C'est intéressant parce que ce n'est pas conforme à nos modèles de formation des astéroïdes binaires, que nous allons devoir retravailler pour comprendre comment est né un tel objet.
L'autre surprise, c'est que, malgré sa petite taille, Dimorphos est d'une étonnante complexité. En effet, il présente une richesse géologique assez impressionnante. Il y a des rochers partout. Ce qui nous dit quelque chose de son histoire et même de l'histoire du système solaire. Par ailleurs, on n'y voit pas de cratères, ce qui est assez étrange. Normalement tous les astéroïdes ont des cratères à leur surface. Est-ce parce que Dimorphos s'est formé très récemment ? Est-ce parce que les petits impacts ne laissent pas de trace sur un corps couvert de rochers ?
Toutes ces questions scientifiques nous intéressent et nous montrent qu'il n'est pas si simple d'interagir avec un corps comme celui-ci. En effet, le couplage de la sonde avec la surface de l'astéroïde lorsqu'elle explose n'est pas aussi net que sur une surface lisse. Un des articles décrit d'ailleurs la manière dont la sonde a tapé : entre trois rochers, les panneaux solaires d'abord, la sonde ensuite. Et, même ça, à modéliser, ce n'est pas simple du tout !
Rapidement après le crash, il a été dit que la mission était un succès. Vous avez vu très vite que la sonde avait touché sa cible et avez su, peu après, que vous aviez effectivement modifié son orbite. Mais quelle serait l'efficacité réelle de cette technique face à la menace d'un impact sur Terre ?
C'est toute la question. Les observations montrent qu'on a réduit la période de Dimorphos [le temps qu'il met à tourner autour de son astéroïde compagnon, NDLR] de 33 minutes. Mais a-t-on vraiment été efficace ? Quelle a été la quantité de mouvement effectivement transmise par Dart à Dimorphos ? Parce qu'après tout, si cet astéroïde est très léger, une simple pichenette a pu suffire à le faire bouger.
Le fait qu'on ait modifié sa période nous dit que nous avons réussi à le dévier, mais il faut maintenant que l'on comprenne pourquoi. Et, pour le comprendre, il faut connaître la masse de Dimorphos et, ça, nous ne l'avons pas. Il va falloir attendre que la mission européenne Hera, qui doit partir en 2024 [dont Patrick Michel est le responsable scientifique, NDLR], se rende sur place pour documenter les résultats de l'impact et étudier ce qu'il reste de Dimorphos.
À ce stade, nous ne pouvons produire qu'une première évaluation. Mais il apparaît déjà que la quantité de mouvement transmise à l'astéroïde lors de l'impact est plus importante que ce à quoi nous nous attendions. En effet, le choc a émis beaucoup de matière, de l'ordre d'un million de tonnes. Or, l'éjection de cette matière s'ajoute à l'impulsion donnée par Dart, comme un propulseur. On estime qu'elle a multiplié la quantité de mouvement apportée par la sonde d'un facteur deux à cinq. C'est donc qu'on a été efficace, mais nous ne pouvons pas encore dire exactement dans quelle mesure.
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Dans les jours suivant l'impact, vous aviez dit craindre une destruction totale de la cible. À présent que cette hypothèse est écartée, que peut-on dire des conséquences du choc pour Dimorphos ?
D'abord, c'est assez extraordinaire : nous avons découvert que nous avions créé une comète ! (rires) En effet, la grande quantité de matière éjectée par le choc, sous forme de particules, pour la plupart de taille centimétrique, est désormais évacuée par le vent solaire. Or, elle forme deux queues, comme une comète. Même si les phénomènes en jeu sont nécessairement différents.
On a aussi l'impression de voir ce que l'on observe parfois dans la ceinture des astéroïdes, entre Mars et Jupiter : de petits corps qui ont effectivement des débris qui les suivent, sans que l'on sache trop pourquoi. Il est donc fort probable qu'une partie au moins de ces astéroïdes, dit actifs, soit due à des impacts.
Pour ce qui est de l'état de Dimorphos lui-même, c'est la deuxième chose qu'il nous faut impérativement savoir pour pouvoir valider les modélisations numériques du processus afin d'être, par la suite, en mesure de l'extrapoler à d'autres scénarios.
Or, avec les données dont nous disposons à ce jour, il n'y a pas de solution unique. Il est possible que nous ayons laissé un cratère à sa surface ou bien que nous l'ayons complètement déformé. Cela dépend de beaucoup de paramètres. Par conséquent, seule la mission Hera pourra le dire.
Nous ne sommes donc pas encore prêts à affronter la menace d'un astéroïde fonçant droit sur notre planète ?
Pas encore, c'est vrai. Mais nous avons montré que, même en y allant totalement à l'aveugle, nous sommes capables de taper dans le mille et de créer une déviation. Or, il est évident que le jour où un astéroïde nous arrivera dessus, nous espérons ne pas avoir à frapper à l'aveugle. L'idée, c'est d'anticiper. C'est pour ça qu'il nous faut vraiment un inventaire de tous les objets potentiellement dangereux.
Ce que doit faire la mission NEO Surveyor de la Nasa, qui doit commencer en 2028-2029, en dix ans, depuis l'espace. De telle sorte que nous puissions envoyer une mission de reconnaissance en cas de menace pour savoir à peu près de quoi l'astéroïde est fait. Et, de toute façon, il faudra impérativement s'y prendre à l'avance car si l'on reproduit l'efficacité de Dart sur Dimorphos mais, cette fois-ci, avec un Dimorphos en orbite autour du soleil, il faudra le frapper plusieurs décennies à l'avance pour qu'il épargne la Terre !
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D'autres missions sont-elles prévues pour nous préparer à cette éventualité ?
D'abord, Hera doit partir le 8 octobre 2024 et arriver au chevet de Dimorphos fin 2026 pour une campagne d'observation de six mois en 2027. Nous allons donc nous préparer à interpréter ce qu'elle verra. Parce que l'on pensait, au départ, qu'arriver quatre ans plus tard n'était pas un problème, que rien ne se serait passé entre-temps, mais on se rend compte que ce n'est pas vraiment le cas.
Ensuite, on va poursuivre la caractérisation des astéroïdes potentiellement dangereux parce qu'on doit vraiment comprendre leur diversité, savoir comment ils réagissent en fonction de leurs propriétés. L'ESA d'une part, le Cnes et le Jet Propulsion Laboratory de la Nasa, d'autre part, envisagent une mission afin d'aller voir l'astéroïde Apophis, juste avant qu'il ne passe près de la Terre en 2029, à une distance de seulement 31 000 kilomètres. On a cette opportunité d'avoir un laboratoire naturel qui vient vers nous, et qui peut nous permettre de voir comment les forces de marée terrestre agissent éventuellement sur ce corps. Ce qui nous renseignerait aussi sur ses propriétés.
Ce serait d'autant plus intéressant que la sonde Osiris Rex doit le visiter une semaine après son passage au plus près de la Terre. On aurait ainsi un avant/après très précieux. En outre, compte tenu des délais très courts, cela constituerait une manière de prouver que nous sommes capables d'organiser une mission de reconnaissance vers un astéroïde très rapidement. Ce qui est une priorité pour la défense planétaire mentionnée dans le dernier Decadal Survey, sorte de plan décennal de la Nasa.