Que vaut « Extrapolations », la série du scénariste de « Contagion » ?
Scott Z. Burns serait-il un prophète de malheur ? Auteur du scénario de Contagion, de Steven Soderbergh, il décrivait, dans ce film sorti en 2011, les causes et les conséquences concrètes d'une pandémie. Dix ans plus tard, en pleine propagation du Covid-19, Contagion, disponible sur Netflix, passait de nouveau sous les feux de la rampe comme une ?uvre visionnaire pour sa prédiction de la crise sanitaire.
En 2023, Burns revisite nos angoisses en s'attaquant, cette fois, au réchauffement climatique avec Extrapolations. Une série dystopique en huit épisodes sur Apple TV+, couvrant un intervalle de trente-trois ans, entre 2037 et 2070. La vie sur le globe se détériore à grande vitesse : méga-incendies, dégradation de l'air, vagues de chaleur intense, fonte intégrale de la calotte arctique, submersion de villes côtières, disparition totale d'espèces?
Dans le premier épisode, sur fond de COP42 organisée à Tel-Aviv, nous découvrons ce monde de cauchemar et certains destins individuels qui vont s'entrecroiser au fil de la série : une scientifique et son mari diplomate (Sienna Miller et Tahar Rahim), un apprenti rabbin en Israël (Daveed Diggs) confronté aux graves répercussions du climat sur la santé de sa mère, un titan de la Tech à la Elon Musk fustigé par les foules et bientôt jugé à La Haye pour crime d'« écocide » (Kit Harington, ex-Jon Snow dans Game of Thrones), un promoteur immobilier planifiant la construction d'hôtels flottants au pôle Nord (Matthew Rhys)?
Petite lueur d'espoir
Plus le calendrier avance, plus la corde se resserre autour du cou de l'humanité. Dans le troisième épisode, situé en 2047, Miami est en partie inondée, tandis qu'en 2068, trois épisodes plus tard, il n'est plus possible de mettre le nez dehors à San Francisco sans s'équiper d'un masque à oxygène.
Les plus déprimés qui en ont les moyens, ou qui ont gagné à la loterie, décident de se retirer de ce monde de cauchemar en téléchargeant leur conscience dans le Cloud pour se réveiller dans une réalité virtuelle plus heureuse. Pour éviter de nous assommer complètement, dans le dernier segment, les auteurs allument tout de même une petite lueur d'espoir via une découverte scientifique révolutionnaire permettant de réduire les émissions de carbone.

« Le dérèglement du climat et ses conséquences sont le problème le plus urgent et pressant auquel l'humanité est confrontée et, curieusement, ce thème est absent de la plupart des films et séries », confie au Point Pop la productrice exécutive Dorothy Fortenberry. « En tant que créateurs, il nous a paru de notre devoir moral d'écrire une histoire décrivant comment nous nous acheminons vers cette apocalypse, quelles sont ses conséquences sur notre quotidien et, surtout, comment nous pouvons l'éviter. Il est aussi de notre devoir d'analyser notre réalité et de dire quelles sont les structures et les personnes qui ont rendu le monde tel qu'il est. Et de soulever les questions suivantes : peut-on imaginer une économie différente, basée sur d'autres sources d'énergie? ? Le chaos n'est pas inévitable. »
Abondance de technologies futuristes
Remplie à ras bord de stars invitées (Meryl Streep, Forest Whitaker, Marion Cotillard, Tobey Maguire, Ed Norton?), Extrapolations a le défaut de ses qualités. Série lanceuse d'alerte hyperambitieuse en termes logistiques, dotée d'un budget non communiqué, mais qu'on imagine faramineux, elle s'éparpille entre trop d'intrigues pour nous attacher à ses personnages.
Son écriture intercalant les itinéraires hérite d'Altman mais, dans le fond, l'attention reste davantage stimulée par l'abondance de technologies futuristes évoquant Black Mirror, ainsi que par l'impressionnant Who's Who du générique et le frisson anxiogène au parfum de fin du monde de chaque épisode.
?Extrapolations? se base sur des travaux scientifiques comme le faisait ?Contagion?.Scott Z. Burns
« J'ai toujours été influencé par George Orwell », explique au Point Pop Scott Z. Burns, « et Orwell disait que tout art est politique. J'assume de prendre position dans Extrapolations, qui se base sur des travaux scientifiques tout comme le faisait Contagion. Nous avons épluché les rapports annuels du Giec et longuement discuté avec les spécialistes concernés pour décrire les effets à venir du changement climatique, de l'élévation du niveau de la mer à l'extinction des espèces ».
Charge politique un peu lourde
Gadget promo ou initiative sincère, la production a créé un site web lié à la série et conçu pour sensibiliser le public aux défis climatiques, avec le concours de diverses ONG internationales (le WWF, le Conseil de défense des ressources naturelles ou NRDC, le réseau Earth Day?).
À travers l'industriel Nic Bilton (Kit Harington), qui exploite le dérèglement climatique et l'extinction des baleines à bosse pour son propre profit, Extrapolations livre une charge politique un peu lourde. Mais Scott Z. Burns, qui fut également producteur du documentaire Une vérité qui dérange, avec Al Gore, en 2006, se défend de verser dans l'anticapitalisme primaire.
À LIRE AUSSI« Don't Look Up : déni cosmique » : le cadeau de Noël de Netflix « Le capitalisme est aussi responsable du changement climatique qu'il l'est des solutions contre ce changement. La question que pose la série est : pouvons-nous contraindre le marché à développer des solutions innovantes pour le climat et les distribuer de façon équitable ? Ou bien laissons-nous perdurer cette version colonialiste extractive du capitalisme ? Nous sommes ravis qu'Apple nous ait laissés explorer ce thème dans une série. »
Et Dorothy Fortenberry d'ajouter : « Nous avons scrupuleusement écrit une série où il n'est pas trop tard pour agir contre le changement climatique, où des choix sont encore possibles. Les technologies existent. Notre v?u le plus cher est que, dans vingt ans, le public regarde Extrapolations en se disant qu'on avait largement exagéré nos prédictions. » C'est bien le nôtre aussi.
Extrapolations, de Scott Z. Burns (8 x 50'). À partir du 17 mars sur Apple TV+.